Sicaires (12) - L'Immersion
Chapitre XII.- L'Immersion
Assis sous la véranda à regarder passer les moineaux sans les voir, John jugea sa cavale inextricable. Il lui fallait bouger rapidement sauf à mettre en danger Médo et Sylvie, et sérieusement. Mais il bloquait sur toute initiative en se rendant compte que jusqu'ici c'était Lino qui passait par la fente du risque pour eux deux. Lui aurait su quoi faire. Comme la fois où ils avaient merdé à Bucarest? La cible avait un kevlar sous son veston. Les transports en commun étant désorganisés, Lino avait choisi de prendre un taxi pour sortir du pays... mais un taxi sans chauffeur, lequel malheureux ils avaient assommé et jeté au bartas sur la route. Il prit sa tête entre ses mains et commença l'analyse comme Lino le faisait souvent. De quoi avait-il besoin pour dégager ? De papiers, de vêtements neufs et d'argent. Sylvie avait réglé la question vêtements, à ses frais. Il pouvait demander un petit viatique mais cela lui tiendrait deux jours. Il avait de l'argent, mais à Paris, enfin chez Angèle. Il appela Denise au Rapide du Nord sur le portable de Médo pour qu'elle contacte Angèle à Chatou car il craignait de la mouiller dans une combine. Angèle devrait attendre son appel. Denise posa la question d'usage :
- Tu vas bien ? Je t'ai vu à la télé.
- Physiquement, impec !
- Take care, John !
Pour les papiers, il lui faudrait lui-même aller au Pays basque pour ne pas impliquer Médo. Mais il lui fallait l'argent d'abord. Denise bippa le portable, ce qui signalait qu'Angèle était au parfum. Il demanda à Médo d'aller à Auch lui chercher un portable prépayé sinon une carte SIM prépayée s'il avait dans un tiroir un vieux portable qu'il n'utilisait plus. Il appellerait Angèle pour lui demander de lui transférer cinq mille euros par la Western Union dans un kiosque ou un bar-tabac de Bayonne. Dans une petite ville c'était possible aussi mais dans les bureaux de Poste qui filtraient beaucoup plus les versements. Ne manquait qu'une carte d'identité pour retirer l'argent. Pendant que Médo était à Auch, John sortit la Mercedes et partit sur une petite route pour saisir l'aubaine. Il roulait depuis vingt minutes en direction de Gimont qu'il traversa sans solution lorsque remontant la petite départementale vers le nord, il vit un cycliste dans son sens. Il attendit la série de virages annoncée et au troisième percuta le vélo par l'arrière assez fort le poussant au fossé. Il jaillit de la voiture pour pratiquer une clef d'étranglement sur le bonhomme à moitié KO qui s'endormit presque immédiatement. La carte d'identité était dans la poche de poitrine. Il rentra le vélo à l'arrière de la voiture en ôtant la roue avant pour le jeter cinq kilomètres plus loin. C'était pour augmenter le délai d'alerte. Puis il rentra à la maison par la nationale.
Sur le portable rapporté par Médo il appela Angèle qui décrocha rapidement. Elle allait organiser deux transferts Western Union successifs à des montants précis au bénéfice de la nouvelle carte d'identité sur deux points de vente différents. Elle bipperait chaque fois.
Ainsi John, habillé de neuf et ne ressemblant pas beaucoup à l'évadé du palais de Justice, put-il récupérer dans la même journée 9465 euros chez un changeur de Pau d'abord puis dans une boutique afro de Bayonne. Restait à activer le contact qui ferait les papiers. Il passa au photomaton du premier supermarché sur son chemin. Le café se trouvait rue Victor Hugo. Il disposait d'une salle au fond que des amateurs de poker occupait chaque soir. C'était des commerçants de la ville qui se désennuyaient en compagnie de bistrots ou de turfistes du milieu qui pensaient les plumer. John demanda au patron si Rachid venait toujours jouer et commanda un Schweppes tranche sur glace.
- Il passe moins souvent qu'avant mais régulièrement. C'est urgent ?
- Oui.
- Vous êtes un ami ?
- De régiment.
- Para ?
- Non, les Transmissions.
- Exact, c'est ça. J'ai un numéro. Je l'appelle pour qui ?
- Zanten.
Rachid arriva une heure plus tard en s'excusant. Oui, il pouvait faire une carte d'identité et un permis de conduire, une carte Vitale mais fausse et même une fausse American Express pour "meubler" le portefeuille.
- C'est devenu cher ? s'enquit John.
- Quand tu passes à la télé c'est forcément plus cher. T'as des images ?
- Oui, ça urge. Combien ?
- Pour toi, 6000 le lot avec même le porte-feuilles en cuir.
- Quand ?
- Deux jours après règlement.
- Bon. Dans deux jours, ici même heure. Je te règle dans la rue, pas ici.
Deux jours étaient passés à Saint-Jean de Luz dans une pension Mouche. Adrien Sylvester, né le 5 mai 1978 à Oyonnax et demeurant au Faubourg Figuerolles à Montpellier, pouvait désormais déambuler en touriste avec des lunettes de soleil et un appareil de photo sur le ventre. Il avait gagné Thonon-les-Bains par le train pour laisser refroidir la piste Toulouse-Samatan. Thonon parce qu'il n'y avait aucun ami. Thonon avait un ferry piétons sur Lausane et par derrière on pouvait gagner l'Italie en voiture. Il avait trouvé à louer une maisonnette de pêcheur au port de Rives en bas, au pied du funiculaire. Angèle avait envoyé du pèze à la gare de Lausanne. Il en profita pour s'acheter une bonne voiture d'occasion grise à quatre roues motrices, une Fiat Sedici, afin de rayonner sur les deux Savoies, bouger avec tout le monde étant un des meilleurs moyens de passer inaperçu. Il participait aux bouchons de la nationale 5 vers Annemasse ; d'autrefois vers Morzine ou Annecy, toujours à l'heure de pointe. Il irait au ski le dimanche en saison. Paradoxalement, se cacher pouvait attirer l'attention et une remarque anodine au commissariat de quartier. Et puis Lino avait recommandé qu'il se cache dans une communauté hippie en rase campagne, c'est justement ce qu'il devait éviter de faire sans nouvelles de Lino. Sa situation pouvait durer aussi longtemps qu'il aurait du fric, ce qui ne devrait pas tarder à le faire tomber du côté obscur de la Force !
![]() |
Au port de Rives sous Thonon |
Ses années de jeunesse remontèrent en mémoire. Il avait passablement survécu grâce au poker ; un empalmeur de première, disaient ses copains de virée. Il allait falloir se refaire les doigts. Cette intention le réjouit au point de transgresser la règle des sicaires, il commanda un Americano avec une goutte de gin.