Sicaires (23) Elie connexion

Chapitre XXIII.- Elie Connexion !


Le charter-plongée sur Sohano n'ayant pas ramené grand monde (un couple d'hommes et une réservation conditionnelle), deux trekkings furent accomplis avant la saison des pluies, enfin la saison des "grandes pluies" car il pleuvait un jour sur deux sur la grande île. Si Lino cherchait à remonter la contrebande d'armes en s'appuyant sur Teng, la meilleure façon d'y atteindre était de renouer le fil du client. Questionné adroitement, Teng avait fini par se souvenir comment Captain Nick avait pris langue avec les importateurs de Bougainville. C'était il y a foutre longtemps ! Ayant un surplus de vivres conditionnées, il avait abordé lors d'un charter un pêcheur côtier pour lui demander s'il était faisable de les troquer contre des fruits et légumes frais. Teng indiquait que les pêcheurs trafiquaient de tout mais seraient de bons intermédiaires pour approcher de plus gros clients. Le lendemain, des pirogues à motogodille avaient apporté toutes sortes de fruits. C'est ainsi que Captain Nicvk serra plus tard le nœud de la contrebande de fusils. Le bateau était maintenant connu dans l'esprit des autochtones pour avoir embrassé la cause "nationale" et l'annonce de son retour sur zone fuserait comme une mèche lente jusqu'au plus profond des grottes de la sédition. Restait à trouver un financement car la PAPUA DISCOVERY PTY LTD ne devait rien faire de gratuit, encore moins à crédit, pour ne pas éveiller les soupçons des jaloux, et ils étaient nombreux dans la petite administration locale. On résoudrait facilement la reprise de contact avec les rebelles, pensa Lino, surtout avec un équipe comme Edward, Teng et Kora. La couverture pourrait être un énième charter-plongée, une opération de troc, les Bougainvillais apprécient les produits savoureux de longue conservation et Teng avait parlé de viande de boeuf séchée en lamelles, des bananes séchées, et même des dattes turques que Captain Nick rapportait par valise entière. A résoudre le débouché, on n'en serait pas plus avancé pour renouer avec les fournisseurs. A la question de savoir si Captain Nick voyageait souvent pour ses affaires ou son plaisir, Teng avait avoué son ignorance, il partait deux fois par an voir sa mère, disait-il, mais Kora avait suggéré qu'il allait probablement à Singapour parce qu'il lui avait rapporté une fois un pendentif en jade représentant le merlion.

Monica, John, Lino et Maïté devisaient dans le lounge du Jacaranda. Comment retrouver une source, qu'elle soit en Irian ou ailleurs ? Puis Maïté lança à demi-mot : "Et le vieux crapaud à cigare ?".
- Monsieur Elie ? reprit John au bond ?
Lino hochait la tête tout en réfléchissant. Bien sûr, Grandchamps fournirait n'importe quoi n'importe où, mais à quel prix.
C'est Monica, avec son esprit pratique, qui trancha la question : " le mieux serait de le lui demander !"
- Lino demanda du temps, comme au poker. Il avait besoin d'analyser les "collatéraux" de cette ouverture futée et de hiérarchiser les contraintes, dont la première n'était que sa propre survie.

Granchamps était un type efficace, discret, intéressé mais vieillissant. S'il avait conservé un réseau personnel, il n'avait plus les relais de la TRANSECURE et surtout les "alarmes" anti-intrusion qui protégeaient le bizness. Et finalement, Lino décida que ce serait la première chose qu'il lui dirait à leur prochaine rencontre si elle devait avoir lieu. Il passa la demande de contact dans le message mensuel à Brisbane. Quatre jours plus tard, il recevait les coordonnées d'un rendez-vous à Honiara aux Salomons pour dans vingt-trois jours. Détails suivraient par un autre canal. Lino décida de ne pas bouger un orteil avant d'avoir plus de précisions et il lui faudrait, pensa-t-il, informer le juge de son excursion, à moins qu'il n'envoie John ou même Maïté. A la réflexion - Interpol avait certainement fait des progrès à destination des refuges exotiques - c'est elle qui eut la fève. Lino demanda à Monica de l'accompagner pour éviter de la faire repérer en proie, de la police ou des malfaisants. Elle n'aurait pas à entrer dans la négociation pour réserver l'avenir. Ce serait un week-end d'ethnologie, en kaki. Les détails parvinrent au Jacaranda depuis un stewart qui escalait sur un vol de la Qantas sous la forme d'un message oral : « Solomon Kitano Dominic le 28 au soir. Faire l'aperçu.» Lino renvoya le messager avec les deux noms des filles et confirma pour le 28 à compter de 18 heures. Il y avait un avion aller-retour chaque jour. La semaine précédant la mission fut consacrée à la couverture, même s'il n'était pas nécessaire de la rendre étanche. Des revues ethnographiques, quelques National Geographic et des accessoires classiques (compas, jumelles, calepins, enregistreurs de notes...). Elles improviseraient mais Lino avait insisté pour qu'elles réservent un tour de brousse en taxi pour confirmer le rôle.

Il n'y avait pas la cohue au Solomon Kitano Mendana mais l'hôtel était accueillant. Un groom prit les bagages avant même l'enregistrement terminé. Le type du desk semblait efficace et peu disert, il avait du sang mélanésien. Il leur tendit la carte magnétique du 16, à l'étage, et rangea les passeports au coffre. Monica lui indiqua qu'elles attendaient quelqu'un vers six heures et qu'il pouvait le faire monter. Presque à l'heure, trois coups discrets furent frappés à la porte qu'elles ouvrirent sur Dominic.

- Je peux fumer ? s'enquit-elle.
- No problemo. Je descends pour voir le menu du dîner, répondit Monica qui s'éclipsa aussitôt.
Maïté jaugeait la brunette boulotte qui n'avait rien de Salma Hayek bien qu'apparemment elle ait été faite au même moule de visage.
- Vous avez une réponse à nos demandes à monsieur Elie ?
- Pas de nom !
- Je vous écoute.
- La livraison peut se faire dans la région de Port Vila au plus près. Je ne sais pas si vous avez les moyens nautiques d'enlever aussi loin.
- Pas pour l'instant, répondit Maïté.
- Les conditions seront celles d'une charte-partie. Nous montons dans le bateau pour un tiers. Nous amorçons le règlement, la mise de fond si vous voulez.
L'offre était correcte, même avantageuse au plan financier, mais Maïté tiquait sur le tiers perdu. Arguant de complications propres à la zone d'effort, elle proposa le cinquième et suggéra de remettre l'accord à demain. Et elles descendirent à la salle à manger retrouver Monica. Le repas fut agréable parce qu'il ne fut question que de voyages et banalités touristiques. Dominic avait pas mal vécu, sans qu'il soit clair à quel motif ; mais il n'en fallait pas promettre à l'écurie Grandchamps.
Le lendemain vers onze heures, Dominic revint tapoter à la porte de la 16. Monsieur Elie ne descendrait pas sous le quart mais garantissait la qualité des denrées. A la question de savoir s'il ne préférait pas fournir tout simplement et oublier, Dominic répondit l'air plutôt pincé que c'était mal le connaître que de lui demander d'oublier quelque chose.
- On attend juste votre bon de commande, déclara-t-elle en guise de clôture de la négociation. Elle prenait le vol de 13h. Maïté et Monica avait réservé un taxi pour faire le tour de la campagne comme prévu et repartirait le lendemain pour profiter d'un break-vacances, le Jacaranda Resort étant quand même une activité très prenante. Maïté se demandait si le deal était acceptable. Lino jugerait. Resterait à dénicher les clients de Captain Nick. C'est ce à quoi s'attela le charter-plongée du mois suivant.

(la suite au chapitre XXIV - clic)